Laurine Thizy « Irresponsable, salope, égoïste, meurtrière ? La stigmatisation de l’avortement en France : formes contemporaines et résistances », thèse de sociologie à l’Université Paris 8, sous la direction de Dominique Memmi, 10 octobre 2023.
Cette thèse analyse la stigmatisation de l’avortement en France comme conséquence et réaffirmation de rapports de genre asymétriques. Elle repose sur une enquête qualitative réunissant 50 entretiens semi-directifs avec des personnes ayant avorté d’une première grossesse, des observations ethnographiques dans deux centres d’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) des hôpitaux publics et 15 entretiens avec des professionnelles de santé. La stigmatisation abortive dépend de facteurs structurels, liés aux évolutions de l’encadrement légal, médical et psychologique de l’IVG. Elle se décline sous différentes formes : la stigmatisation de « l’échec contraceptif », dominante, n’éclipse pas une stigmatisation liée à la sexualité récréative des femmes, au refus de maternité et à la personnification de l’embryon. Derrière les figures archétypales de l’avortée en « irresponsable », « salope », « égoïste » et « meurtrière » opèrent ainsi des normes genrées qui produisent et reproduisent des rapports de pouvoir entre les sexes. Selon les entrepreneur·ses de la morale abortive et les caractéristiques sociales des avortées, ces formes de stigmatisation s’expriment plus ou moins fortement. Les personnes enquêtées font cependant montre de leur agentivité en recourant à un ensemble de stratégies, socialement différenciées, pour faire face à la stigmatisation. Elles peuvent ainsi limiter l’auto-stigmatisation par le travail émotionnel, contourner le stigmate par le silence et le dévoilement sélectif de leur expérience, ou remettre en cause la stigmatisation, en contestant par là même l’état des rapports de genre contemporains.