Sylvie Tissot, Franck Poupeau et Loïc Wacquant (coord.), « Penser, classer, administrer la pauvreté. Figures du ghetto », Actes de la recherche en sciences sociales n° 160, 2005.
Résumé : « Bien que les sciences sociales aient fait un large usage du « ghetto » comme terme descriptif, elles ont échoué à en forger un concept analytique robuste, au lieu de quoi elles se sont reposées sur les notions indigènes qui allaient de soi à chaque époque dans la société étudiée. Cet article construit un concept relationnel du ghetto comme instrument bifront d’enfermement et de contrôle ethnoracial, en s’appuyant sur l’historiographie de la diaspora juive pendant la Renaissance européenne, la sociologie de l’expérience noire américaine dans les métropoles fordistes et l’anthropologie des parias ethniques en Asie Orientale. Croiser ces travaux fait apercevoir qu’un ghetto est un dispositif socio-organisationnel composé de quatre éléments (stigmate, contrainte, confinement spatial, cloisonnement institutionnel) qui utilise l’espace pour concilier ces deux objectifs antinomiques que sont l’exploitation économique et l’ostracisation sociale. Le ghetto n’est pas une « aire naturelle » coextensive à l’« histoire des migrations » (comme le soutenait Louis Wirth) mais une forme spéciale de violence collective concrétisée dans l’espace urbain. Articuler le concept de ghetto permet de démêler les rapports entre ghettoïsation, pauvreté urbaine et ségrégation, et partant de clarifier les différences structurales et fonctionnelles entre ghetto et quartier ethnique. Cela permet aussi de mettre au jour le rôle du ghetto comme incubateur symbolique et matrice de production d’une identité souillée et suggère que le ghetto gagnerait à être étudié par analogie avec d’autres institutions de confinement forcé des groupes déshérités et déshonorés tels que la réserve, le camp de réfugiés et la prison. »
Professeure à l’Université Paris 8
Cresppa-CSU
Page personnelle