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Ouvrage
Luc Sigalo Santos L’administration des vocations. Enquête sur le traitement public du chômage artistique en France, Paris : Éditions Dalloz, « Nouvelle bibliothèque de thèses – science politique » - Préface de Laurent Jeanpierre et Vincent Dubois
Le fonctionnement standardisé de l’administration bureaucratique semble a priori incompatible avec les logiques de la vocation et de la singularité qui prévalent dans les mondes de l’art. Partant de cette problématique inspirée de Max Weber, Luc Sigalo Santos prend ici pour objet la rencontre de ces deux univers. Il montre que le traitement public du chômage dans le domaine artistique incarne de façon idéale-typique les tensions pouvant exister, dans tous secteurs, entre une politique publique spécialisée, adaptée en pratique à des usagers particuliers, et ses principes universels, s’appliquant en théorie à toutes et à tous. L’administration des vocations apparaît dès lors comme un observatoire grandeur nature des mécanismes de différenciation sectorielle de l’action publique.
Cet ouvrage de très grande qualité est remarquable à maints égards, notamment par l’ampleur et la rigueur exceptionnelles d’une enquête. À travers 177 entretiens, 6 mois d’observation à temps plein et un impressionnant travail d’archives, Luc Sigalo Santos éclaire ici toute une série d’aspects emblématiques des politiques sociales et d’emploi. Il en va ainsi des rapports entre l’administration et les recruteurs, des tensions entre les prérogatives de l’État central et celles des collectivités territoriales, des logiques sociales qui structurent les relations entre agents et usagers, ou encore du problème des compétences des agents qui doivent être à la fois généralistes et spécialisées.
L’ouvrage doit également être lu comme une enquête sur la face cachée du travail de création. Depuis les guichets de l’État social, Luc Sigalo Santos éclaire d’un jour nouveau la vie d’artiste. Il montre que l’imbrication des périodes d’emploi, de chômage et de RSA qui la caractérise se traduit par des incitations plus ou moins contraignantes à apprendre à se vendre, à se diversifier, et parfois à se reconvertir. Ces usagers précaires mais diplômés sont toutefois loin d’être passifs : par un jeu de miroir constant, ils évaluent en retour l’expertise sectorielle des "inséreurs" de Pôle emploi, des services sociaux et des organismes de formation, quitte à les mettre en défaut. La fragilité de l’action publique étudiée répond alors à la précarité professionnelle et existentielle des artistes.